Lhistoire de lE. P. S. est loin dêtre finie! interview de Pierre ARNAUD.
1 Interview réalisée par Franck LINOL
1 Interview réalisée par Franck LINOL
Le 07 février 1997, à linvitation de lI.U.F.M. de LIMOGES, Pierre ARNAUD professeur des universités, Centre de Recherche et dInnovation sur le Sport (C.R.I.S.), U.F.R.A.P.S., Université de Lyon I, donnait une conférence. A cette occasion, il a accepté de répondre à nos questions. Nous le remercions pour la disponibilité et la simplicité dont il a fait preuve lors de cet entretien.
Franck LINOL.
- Il serait peut-être intéressant, que tu rappelles ton parcours professionnel et universitaire.
P.A. - Jai fait mes études à lI.R.E.P.S. de Lyon de 1961 à 1965. Jai ensuite été nommé dans un lycée de Lyon « La Martinière ». Passionné par les sciences biologiques, jai suivi les deux premières années de médecine, interrompues par le service militaire. Une belle aventure dans les chasseurs alpins qui ma permis de devenir champion de France militaire par équipe de biathlon. Un grave accident retarde la reprise de mon poste à La Martinière, puis je suis nommé à lI.R.E.P.S. de Lyon. . . alors que jattendais ma mutation pour le lycée climatique de Villars de Lans. Nommé à la rentrée 1969 à lI.R.E.P.S., jai découvert un autre monde que celui que javais quitté cinq ans plus tôt. 68 était passé par là. . . et jai vécu un malaise, au moins à lI.R.E.P.S. de Lyon.
La restructuration des études, les nouveaux enjeux de formation, ont fait que très rapidement je me suis aperçu que jétais, comme la plupart de mes collègues de lI.R.E.P.S., incompétent pour gérer les problèmes de formation des étudiants en E.P.S. Et là, au lieu de reprendre mes études de médecine ou de morienter vers la psychophysiologie, je me suis inscrit en Sciences de lEducation, la section venant de souvrir à Lyon, pour faire licence, maîtrise (mes premières publications seront sur le thème de la natation et de la relation affective au milieu aquatique).
Jai fait une thèse de psychologie en 1978, qui depuis a été publiée « Les savoirs du corps ». A lépoque, ce genre de travaux ne sinscrivait pas dans la perspective dune carrière universitaire. Mon directeur de thèse ma alors demandé de minscrire en thèse dEtat (jétais toujours professeur dE.P.S. certifié) et je trouvais que cétait beaucoup !
Je suis pourtant ses conseils en 1979. Et par un concours de circonstances, je me suis orienté vers lhistoire, ayant eu la chance de découvrir les archives « Sport et Société » qui avaient été mises à disposition des archives nationales. Jai passé sept ans à faire ma thèse dEtat.
Entre temps la section du C.N.U. a été créée, mais je nai pu bénéficier de postes universitaires, car à Lyon le marquage politique était fort (syndicalement aussi) ; Lyon était marquée au fer rouge !
Je suis devenu maître de conférence en 1986, lannée où jai soutenu ma thèse dEtat. Je nai pas passé lagrégation pour une question de choix : finir ma thèse dans les délais et peut-être opter pour une carrière universitaire.
Finalement de 1971 à 1986, cela fait pas mal de galères !
Je me retrouve seul universitaire à lU.F.R.A.P.S. et la galère continue. Jai découvert un monde dont je ne soupçonnais pas lexistence ! Si je voulais faire de la recherche il fallait que je sacrifie mon temps libre. Le travail à lU.F.R.A.P.S. était énorme du point de vue de la gestion administrative, création de diplômes, gestion des personnels, C.N.U., etc. . .
Je deviens professeur assez rapidement, en 1988 pour obtenir la première classe il y a deux ans. Je trouve que ça ne va pas bien vite compte tenu du travail réalisé !
Jenseigne lhistoire à lU.F.R.S.T.A.P.S. depuis pas mal dannées, après avoir enseigné le rugby, la natation, les statistiques. . . et les A.P.P.N.
Depuis une dizaine dannées, étant reconnu par la communauté des historiens professionnels et par les Sciences Politiques, je fais souvent des interventions lors de conférences, de séminaires en histoire contemporaine, à lEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, à lEcole Normale Supérieure de la rue dUlm, etc. . .
Pour tout dire je croule sous le travail ! Si je devais faire un bilan global : à la fois je peux être satisfait de moi, bien que je nai pas vraiment voulu ce qui sest passé. Mais en même temps je suis un peu aigri, un peu déçu car jestime, sans aucun orgueil, que cest quand même moi qui à partir de 1980, ai mis le feu aux poudres de lhistoire du sport. Pourtant, je nai pas été reconnu dans ma profession en S.T.A.P.S. Jai été sanctionné pour des raisons que jignore.
- Tu nas pas été le seul !
P.A. - On pourrait certes discuter longtemps de lhistoire de « lhistoire du sport et de léducation physique ». Il serait prétentieux et faux de dire que je fus le premier ! Des collègues comme M. SPIVAK, J. THIBAULT, G. ANDRIEU et dans un autre registre J. M. BROHM ou G. VIGARELLO mont devancé. Il nen reste pas moins vrai que lhistoire repose sur des faits, des événements, quelle se construit sur la base de documents darchives originaux et pas seulement à travers les textes officiels ou les ouvrages dépoque.
Ce travail fut ébauché par A. EHRENBERG et Pierre CHAMBAT auxquels je dois beaucoup. A partir de 1979, je fus sans doute le premier en France à dépouiller systématiquement les archives municipales, départementales, nationales concernant lhistoire du sport et de léducation physique. Dès lors, me semble-t-il, on ne pouvait plus écrire lhistoire de la même façon. Pourtant, je nai eu aucune formation universitaire en histoire. Jai lu beaucoup douvrages, darticles pour comprendre comment on pouvait écrire lhistoire aujourdhui. . .
Doù mon goût marqué pour une histoire que lon dit « totale », qui en fait est une histoire qui prend en compte les phénomènes de société. Une histoire contextualisée comme on dit encore, dans laquelle sport et éducation physique prennent du sens. Isolé, jai donc souhaité très vite me faire « évaluer » par des experts. Cest par ce biais que jai peut-être réussi à progresser et à me faire admettre par la communauté des historiens professionnels. Il fallait une certaine dose de courage (ou dinconscience) pour oser solliciter Maurice AGULHON, professeur au Collège de France, Eugen WEBER, historien américain spécialiste de la France, Richard HOLT, Yves LEQUIN, Alain CORBIN, Antoine PROST et Madeleine REBERIOUX...
Aujourdhui, cest la première fois que je peux les remercier publiquement. Si je ne leur dois pas tout, je leur suis reconnaissant de mavoir fait confiance. Je peux dire que jamais ils nont émis la moindre critique sur mon travail, et jen suis le premier surpris.
Le bilan est donc mitigé. Il est clair à mes yeux, et pour des raisons que je ne peux présenter ici, que le milieu des S.T.A.P.S. ma difficilement accepté. Eclectique, trop éclectique ! Quand jy repense, il fallait être fou pour passer douze ans de sa vie afin de devenir un spécialiste honorable de la psychologie génétique, autant pour devenir compétent en statistiques et en sciences de léducation, sans parler du temps passé à me former en sociologie de léducation.
Toutes disciplines que jai enseignées, qui ont nourri mes recherches et mes publications jusquen 1985. Cet éparpillement ma finalement servi à mieux comprendre les enjeux de léducation physique et du sport dans la société française. Mais sil fallait recommencer, je ne suis pas sûr que je reprendrais le même chemin. Finalement, je ne peux que constater le retard de ma carrière universitaire (en termes indiciaires jentends) en regard de quelques collègues qui sont bien loin davoir un dossier aussi étoffé que le mien. Prétention ? Non, lucidité. Mais je nen dirai pas plus, car je deviendrais très désobligeant.
- Cela tient peut être au fonctionnement de luniversité française.
P.A. - Voilà ; cest décevant. Javais rêvé de faire seulement de la recherche : lentrée au C.N.R.S. est totalement bouchée, car le sport nest pas un objet très légitime, bien que les choses sarrangent. Je dis à mes étudiants les plus brillants : ce que je nai pas pu faire, vous le ferez ! Cest probablement vous qui dans vingt ans, récolterez le travail que nous faisons actuellement.
Dans cette affaire, jai laissé de lénergie, du temps, de largent et ma santé ! Et à mes yeux, le bilan est loin dêtre satisfaisant !
- Certes, mais tu laisseras une trace majeure dans lhistoire du sport et de lE.P.S., cest incontestable.
P.A. - Cest ce quon me dit ! Jétais à Strasbourg il y a quelques jours et B. MICHON ma présenté en disant : « enlevez les publications de P. ARNAUD et regardez ce qui reste » ! Ceci dit, il ne faut pas oublier ANDRIEU, VIGARELLO.
Il y a des jeunes que nous avons formé au C.R.I.S., comme T. TERRET, P. LIOTARD, etc. . . qui vont prendre la suite !
- Lévocation de ton parcours est très intéressante, car bien quétant singulier (cest le parcours de P. ARNAUD), il reflète bien me semble-t-il, lhistoire de « lhistoire de lE.P.S. ». Autrement dit, ce sont des enseignants dE.P.S. qui ont entrepris des recherches souvent en étant complètement isolés, et qui ont mis un terme à un vide incroyable : comment les historiens professionnels ont-ils pu ignorer à ce point, le sport, les activités physiques, pendant prés de soixante dix ans, de JUSSERAND à ULMANN ?
P.A. - On peut dire que les historiens professionnels ne sintéressent au sport que depuis cinq ou six ans.
- Mais comment expliquer ce vide très particulier à notre pays et pourquoi lhistoire du sport a-t-elle été entreprise par le milieu des professeurs E.P.S. devenus universitaires ?
P.A. - Les historiens ne travaillent souvent quà partir des questions dactualités, des questions que pose la profession. Jusquen 1967, lE.P.S. est régie par les méthodes très classiques. En 1966, je suis inspecté et on me demande une leçon de méthode naturelle ! Pour les besoins de la formation, lhistoire de lE.P.S. se réduit alors à une histoire des méthodes : DEMENY, sa vie, son oeuvre ; HEBERT, sa vie, son oeuvre. Il ny a pas de réflexion de fond, ni de formation historique dans les I.R.E.P.S. à lépoque. Personne ne soupçonne quil puisse exister des archives.
Le détonateur a été les I.O. de 1967 : la sportivisation de lE.P.S., mais aussi la création de la section des sciences de léducation (1967), la restructuration de lE.N.S.E.P.S. qui est devenue lI.N.S.E.P. et a perdu ses prérogatives dans le domaine de la formation des professeurs.
La création du diplôme supérieur accueille dans ses premières promotions des collègues comme THIBAULT ou ANDRIEU par exemple qui travaillent sur des thèmes historiques. Mais à lépoque lhistoire qui est entreprise est très institutionnelle, sans recours aux archives. On travaille sur les textes officiels et cest tout. Peut être que les archives nétaient pas exhumées. Dune certaine façon, je dirais que jarrive alors au bon moment, lorsque je peux avoir accès aux archives en 1979.
A cette date, le service éducatif des Archives Nationales, lance le concours du jeune historien pour les élèves des classes de 4éme, avec pour thème : sport et société.
Toutes les Archives Départementales de France ont eu pour mission dexhumer et de classer toutes les archives, par exemple sur les associations sportives.
A partir de 1980, beaucoup dArchives Départementales (Belfort, les Hautes Alpes, etc. . .) sortent des fascicules sur le sport et la société dans tel ou tel département. On se rend compte alors quil y a une mémoire dans lhistoire, et que le sport que lon connaît aujourdhui avait une origine.
A Lyon, jai la chance de découvrir des documents que personne navait ouverts. Dautres, comme GAY-LESCOT en Ile et Vilaine, DELAPLACE dans le Jura, etc. . . , font la même chose.
Un historien travaille sur des archives : cest donc à partir de là que tout démarre et voilà pourquoi cest si tardif.
- Mais, tout de même, quelle faute de la part des historiens professionnels davoir ignoré les activités physiques et le sport ! Est-ce parce que ce thème était considéré comme peu valorisant pour un historien ?
P.A. - Entendons nous sur ce quon appelle « historien professionnel ». Pour moi, ce sont ceux qui ont eu une formation complète dans le domaine de lHistoire, cest à dire les universitaires.
Pourquoi ne se sont-ils pas intéressés au sport ? Je dirais que cest un problème spécifiquement français.
Le sport est apprécié dans notre pays en tant que spectacle, voire en tant que pratique, mais il est déprécié en tant quobjet détude. Etudier le sport ne fait pas très sérieux. Il est vrai que par rapport à lAngleterre et à lAllemagne, on a accumulé un retard énorme.
Et même encore aujourdhui si cette attitude pourtant sinfléchit, un étudiant en histoire qui fait une thèse dEtat ou de doctorat et qui prend comme thème « le sport », sinterdit toute possibilité de faire une carrière universitaire. Il vaut mieux que cet étudiant entreprenne la millième thèse sur lhistoire de la Révolution française, plutôt que la première sur lhistoire du sport. Cest un trait qui est lié à lhistoire culturelle, aux mentalités en France.
Mais cela change, à cause de lactualité. On parle des « affaires » dans le domaine du sport, des relations entre le sport et la politique (BERLUSCONI, TAPIE, etc. . . ), il y a le problème des banlieues. Et ce nest pas un hasard si dans le domaine des Sciences Politiques, il y a de plus en plus de mémoires et de thèses qui se font sur les politiques sportives municipales. Dans ce cadre, on invite les S.T.A.P.S. : on fait partie du jury, on est directeur de thèse, on nous reconnaît donc une compétence.
En histoire contemporaine, cest pareil, ce qui était inconcevable il y a encore quelques années. Il faut donc être optimiste. Mais les S.T.A.P.S. étant un carrefour pluridisciplinaire, on naura jamais les moyens, de sortir dans une U.F.R.S.T.A.P.S., dix thèses dhistoire par an.
En histoire contemporaine, il suffit quil y ait un professeur qui décide que cette année, on travaille sur le sport, on verra sortir quarante mémoires de maîtrise. Donc, attention à la concurrence !
Et les S.T.A.P.S. seront perdants.
Ceci dit, il y a des relations de collaboration qui sinstaurent, et cest plus un problème de personnes que dinstitution.
A Lyon et en France, je suis ainsi très sollicité par des professeurs dhistoire contemporaine ou de sciences politiques. Sur mes quatorze étudiants actuellement en thèse, trois seulement ont été formés à Lyon. Les autres viennent dautres universités, ce qui montre une certaine reconnaissance de nos compétences. Cest un bon point pour les S.T.A.P.S. qui ont tendance pourtant à toujours se flageller.
- Revenons à cette discipline, lhistoire du sport et de lE.P., et sa place dans nos concours de recrutement. On constate que seule lE.P.S. demande à ses candidats (CAPEPS, Agrégation), un écrit de nature historique. Comment peut-on justifier que seul lenseignant dE.P.S. ait besoin dune connaissance de lhistoire de sa discipline pour bien enseigner ?
P.A. - Je pense quil nest pas exact de dire que les autres disciplines nont pas denseignement dhistoire (histoire des mathématiques, des sciences, de la littérature, etc. . . ). En revanche, ça ne constitue pas une épreuve aux concours. Pourquoi en E.P.S. ? Je répondrais, ce que jexplique à lInspection Générale lorsque je suis consulté.
Lune des principales raisons, cest que à tort ou à raison, lE.P. a toujours été considérée comme une discipline marginale dans le système scolaire. Elle aurait donc besoin, daffirmer sa position et pour cela il lui faut avoir recours à lhistoire. Doù vient-on ? Quel est notre itinéraire ? Etc. . .
Cest tout de même curieux : lE.P. a toujours été présente, sans aucune discontinuité, dans les programmes scolaires depuis 1880 et en même temps, les professeurs dE.P.S. considèrent quils ne font pas vraiment partie de lécole. Cest un paradoxe.
Deuxièmement ; il y a ce rapport conflictuel permanent qui existe avec le secteur extra-scolaire sportif associatif, qui oblige lE.P. à préciser son utilité, son identité. Cest par lHistoire que lon peut reconstruire son identité.
Voilà une bonne raison : rechercher dans lHistoire les causes de son existence aujourdhui. Mais, jirais encore plus loin, en laissant ce côté nombriliste et corporatiste.
Tout enseignant, de maths, dhistoire, de musique ou dE.P.S., doit avoir une culture professionnelle. Or, il me semble que lHistoire est la seule discipline qui a une vision totalisante du positionnement des activités physiques et sportives, quel que soit le secteur de leur développement (le scolaire, lassociatif, larmée, etc. . .) à travers des approches sociales, culturelles, économiques.
Autrement dit, quels sont les facteurs qui expliquent lévolution des pratiques physiques dans le contexte culturel, économique, politique, éducatif ?
Si on proposait une épreuve de sociologie, ou de philosophie, il y aurait un effet réducteur. Grâce à lHistoire, on a des chances de former des professeurs dE.P.S. qui savent doù ils viennent, et où il vont, afin quils se situent par rapport à dautres professions.
On le voit bien depuis 1975 à travers la diversification des pratiques sportives, et la multiplication des métiers du sport.
Il y a une concurrence professionnelle aujourdhui qui nexistait pas il y a vingt ou trente ans, où le professeur dE.P.S. avait le monopole de la formation physique de la jeunesse.
Et aujourdhui, il y a des enjeux contre le mouvement sportif fédéral, contre le secteur commercial et il ne faut pas que le professeur dE.P.S. se replie de manière défensive sur sa compétence strictement scolaire. Il est obligé de se situer par rapport aux autres. Il ny a que lHistoire à mes yeux qui peut lui donner cette culture générale
Je trouve scandaleux par exemple que lorsquon parle à des étudiants, du mouvement sportif, de S. LENGLEN, de G. CARPENTIER, de M. CERDAN, ils ne connaissent pas.
Un étudiant en Lettres connaît A. de VIGNY, ou F. VILLON. Pourquoi chez nous, navons nous pas une culture qui permettre de situer les grands événements sportifs ? : le Coupe du Monde, les boycottages, les attentats de Munich, etc. . . Doù ça vient, pourquoi ? Il y a une culture de métier, propre au professeur dE.P.S., comme pour un professeur de lettres ou de sciences.
- Il me semble, quune des thèses centrales que tu défends, est que lhistoire de lE.P. se confond avec celle de lEcole. Certains, avancent que tu aurais tendance à minimiser les facteurs extérieurs dans lhistoire de lE.P.
P.A. - Pas du tout ! Si cest la critique que lon me fait, cest que je me suis mal fait comprendre, ou les gens nont pas lu tout ce que jai pu écrire !
Ce que je fais est exactement le contraire. Je mets toujours en rapport, lorsque je fais lhistoire de lE.P., (ce qui ne représente que 30 % de mon travail, lessentiel de mes publications porte sur lhistoire du sport), les facteurs externes et les facteurs internes. Si lE.P. évolue dans ses finalités, ses programmes, ses contenus, ses procédures dévaluation, etc. . . , cest parce quelle est en prise avec les pratiques sociales qui elles mêmes évoluent.
Aujourdhui, il y a une grande diversité des pratiques sportives ; le modèle sportif compétitif nest plus dominant comme dans les années soixante, il y a dautres valeurs véhiculées (fun, etc. . .). LE.P. nest pas un îlot dans lécole : il nous faut analyser la façon dont lE.P. prend en compte lévolution des pratiques sociales. Ce problème, je lai toujours posé.
Mais, dans les solutions jusque là proposées par lE.P., toujours les mêmes, ce sont celles qui privilégient ce que jappelle lorthodoxie scolaire, cest à dire que la fonction pédagogique prime sur la fonction culturelle. Pourquoi ? Parce que lE.P. ne veut pas se confondre avec une animation ou un entraînement. Le propre de lE.P., cest dêtre une discipline et une matière denseignement qui se situe dans un territoire particulier : celui de lécole. Et hors de lécole, pas de salut !
Je dis souvent, de façon provocatrice, que lE.P. existe uniquement parce quil existe des professeurs dE.P.
Le sigle « E.P. » est un label scolaire. Cest pourquoi lE.P. respecte un certain nombre de règles, dusages strictement scolaires, qui ne valent que dans le cadre de lécole. Le professeur dE.P. qui prend comme support lathlétisme, le rugby, etc. . . , a un mode de traitement particulier de lactivité lorsquil sadresse à des élèves qui sont différents du mode de traitement avec des jeunes dans un cadre extérieur (centre de vacances, club, maison de jeunes, quartiers, etc. . .)
LE.P. est confrontée à la modernisation de ses contenus, elle doit prendre en compte lévolution des pratiques de la société aujourdhui, mais le traitement pédagogique et didactique mis en oeuvre, aboutit toujours à une E.P. de « base », préparatoire à quelque chose, même si ce vocabulaire nest plus utilisé.
- On a le sentiment, quen 1997, lE.P.S. nest toujours pas intégrée au système scolaire, ou alors quelle ne lest que depuis 1981. Or, lE.P., et avant la gymnastique, fut intégrée il y a plus dun siècle. Comment se fait-il que dans les représentations des enseignants, mais aussi des parents, des élèves, etc. . . , lE.P.S. est en marge du système, prête à nouveau à sortir de lécole ?
La même remarque vaudrait pour les programmes : tout se passe comme si, enfin, lE.P. se dotait de programmes, comme les autres disciplines, alors que ceux-ci existent depuis lorigine de la gymnastique à lécole.
P.A. - La réponse serait longue !
Dabord, et je lai souvent écrit, (et jai étudié de 1880 à aujourdhui tous les ministère de tutelle de lE.P. !), en lespace de cent vingt ans, lE.P. a passé une bonne centaine dannées sous la tutelle du ministère de linstruction publique ou de ministères équivalents.
Donc, le positionnement scolaire de lE.P., dès le départ, existe.
Pourquoi, alors, ce sentiment de ne pas être une discipline comme les autres ?
Dabord, cela tient au statut du corps, de lexercice physique, dans la vie de lécole qui est entièrement organisé pour le développement de lintelligence et lacquisition des connaissances. Tout ce qui ne va pas dans ce sens, est considéré comme une perte de temps.
Dans les « Savoirs du Corps », jai expliqué que lE.P. contribuait à améliorer la santé, le rendement scolaire (les pédagogies corporelles de lintelligence), etc... et tout ce qui ne va pas dans le sens dune mobilisation de lénergie des élèves pour acquérir des connaissances était considéré comme marginal et inintéressant.
On pourrait dire la même chose de la musique et du dessin.
Une autre raison, plus importante, est le traumatisme de la traversée du désert entre 1963 et 1981. Cest la période où lE.P.S. est placée sous tutelle dun sécrétariat dEtat, du Ministre de la Jeunesse et des Sports, du Ministre de la Qualité de la Vie, etc. . . Mais cela a été salutaire pour les professeurs dE.P.S., parce quà partir de 1971, ils se sont mobilisés pour traiter lactivité sportive afin quelle corresponde aux exigences de lorthodoxie scolaire.
En 1981, cest une victoire, pas seulement corporative, politique, mais une victoire aussi de type pédagogique et didactique. En 1981, les élèments sont prêts pour quun enseignement sportif, (je ne dis pas une éducation sportive) soit envisageable au sein de lécole. Car, il faut le dire, les expériences des Républiques des Sports, nétaient pas de lenseignement. Cétait de lanimation, de l'entraînement, tout ce quon voudra, mais pas de lenseignement. Il y avait donc cette opposition entre la volonté, par exemple de HERZOG, de développer une éducation sportive fondée sur des valeurs morales (de COUBERTIN) et sous limpulsion de MERAND, la F.S.G.T., (souvenez-vous de larticle « mais quel est donc la spécificité de lE.P.S. » ? ), un travail de réflexion sur les contenus, les programmes et finalement faire rentrer le sport dans le cadre dun enseignement répondant aux normes de lorthodoxie scolaire. On ny est pas vraiment arrivé !
Maintenant, que C. PINEAU, à la retraite aujourdhui, ait jugé bon décrire dans différentes publications, quavant lui, il ny avait pas de programme en E.P.S., ça le gratifie certainement ! Mais si au CAPEPS ou à lAgrégation tombe un sujet du style : « tout enseignement se référe à un programme, comment lE.P. a-t-elle fait face à cette exigence au cours du XXe siècle », on sapercevra que lE.P. a toujours eu des programmes ! (voir le « Manuel de gymnastique et de jeux scolaires », la Méthode Française, « vers une E.P. méthodique » de SEURIN, les I.O. de 67, ...). En revanche, la notion de programme sest singulièrement complexifiée en cent vingt ans !
- Durant ces dernières années, on sest beaucoup gargarisé avec la formule : « la didactique de lE.P.S. ne se confond pas avec les didactiques des A.P.S. ». Mais dans les pratiques réelles, nest-on pas passé dune E.P. de base à une éducation sportive (tu parles, toi, denseignement sportif), ceci avec laide de diverses cautions qui donnent bonne conscience à tout le monde ? Analysons, la façon dont les élèves, et pas seulement eux, se représentent lE.P.S. aujourdhui ; le professeur dE.P.S. a disparu au profit du professeur de sport.
LE.P. existe-t-elle encore aujourdhui ? La sportivisation de lE.P.S. na-t-elle pas uniformisé les pratiques pédagogiques de lE.P. ?
P.A. - Dabord je crois que ce serait une grave erreur que de penser que tous les enseignants dE.P.S. de France font la même chose. Il y a une grande hétérogénéité dans la profession : il y a les animateurs, les entraîneurs, ceux qui sont sur le pôle scolaire, les didacticiens.
Je ne suis plus professeur dE.P.S. ; je connais mal les pratiques des établissements scolaires en 1997. En revanche, comme tout historien, je travaille sur des documents et jobserve les productions, comme par exemple la revue « E.P.S. ».
Lorsque janalyse « ce qui se dit sur », jai la conviction quen E.P. aujourdhui on ne fait pas du sport. On utilise des activités sportives, mais le mode de traitement quon leur fait subir, entraîne que les modèles sportifs compétitifs ne sont plus les seuls modèles de lE.P. scolaire. Le mode de traitement aboutit à lélaboration de contenus originaux qui cherchent à développer chez les élèves des attitudes, des méthodes, des compétences réinvestissables dans la vie active.
On nest plus très loin dun corps de connaissances proches, avec des nuances certes, de ce que proposait LE BOULCH ! Je vais peut-être vous faire hurler ! Le mode dentrée est différent, mais on travaille sur les conduites motrices. Que fait dautre, le professeur dE.P.S., lorsquil confronte lélève à une difficulté sportive ?
Je pense que ce que fait un professeur dE.P.S. à lécole est fondamentalement différent que ce quil fait dans un club. A tel point quaujourdhui, un professeur dE.P.S. est totalement incompétent pour intervenir dans le secteur sportif compétitif, sil na pas un brevet dEtat. Ce phénomène nexistait pas il y a trente ans, lorsque lE.P. se confondait avec les techniques sportives.
- Une dernière question, qui peut être, va toi aussi te faire hurler !
Tu as expliqué que la guerre des méthodes est terminée, que la sportivisation de lE.P.S. a installé les activités sportives comme support dominant ; est-on arrivé, alors, pour reprendre la thèse très controversée de FUKUYAMA, au terme de lhistoire de lE.P. ? Celle-ci a trouvé son identité, elle est totalement intégrée, respectée, reconnue, elle nest plus source de débats, de conflits, bref son histoire se termine !
P.A. - LHistoire nest jamais finie. Ensuite la position scolaire de lE.P. nest pas assurée ! Demain, sa place au sein de lécole peut être remise en cause.
LE.P. ne vit pas en vase clos, dans une institution qui serait coupée de lextérieur. Qui peut dire ce que seront demain les orientations politiques, comment va évoluer léconomie, quels seront les nouveaux enjeux ? Dire que lhistoire de lE.P. est finie, est une bêtise !
Un exemple - Actuellement il y a une bombe au dessus de la tête des professeurs dE.P. : cest le projet G. DRUT ! Celui-ci reprend, en gros, le modèle dEPINAL, avec lalternance des cours le matin et les activités sportives et culturelles laprès-midi.
Ce modèle va faire ressurgir les démons des années 70. COMITI na pas fait autre chose !
Le noyau dur de lE.P. à lécole et les enseignements optionnels étaient confiés à des animateurs dans les fameux C.A.S.
Comment G. DRUT va-t-il généraliser sa réforme sans faire appel à dautres intervenants que des professeurs dE.P.S. ? Dans ce cadre là, fait-on de lenseignement de lE.P.S. de lanimation sportive ; bref, qui fait quoi, sous quel statut ? Voilà un problème qui peut être va remettre en cause le statut du professeur dE.P.S. Cest donc une hypothèse possible et il y en a probablement dautres.
Autre exemple - LEurope et la libre circulation des biens, des marchandises, etc. . . Théoriquement, rien nempêche un professeur dE.P.S. français, daller exercer ses talents dans un pays de la Communauté Européenne.
Réciproquement, rien nempêche un enseignant italien, anglais, allemand, de travailler dans un établissement scolaire français. Bien quen France, nous soyons protégés pour linstant par le statut des fonctionnaires. . .
Les pays vont dans notre secteur aussi harmoniser (cf. la thèse de Gilles KLEIN). Mais le type de compétences quacquiert un professeur dE.P.S. en France durant sa formation initiale, est totalement différent du type de compétences acquises par les enseignants des autres pays.
Faudra-t-il une harmonisation des formations initiales ? Dans ce cas, il faudra aussi revoir le statut du professeur dE.P.S. et donc de la discipline E.P.S. dans le système scolaire.
Voilà encore une bonne raison pour dire que lhistoire de lE.P.S. est loin dêtre finie !
le 07 février 1997
Il nest pas question ici de faire état de façon exhaustive de lensemble de loeuvre de P. ARNAUD
Nous ne retiendrons quun certain nombre douvrages essentiels pour notre milieu professionnel.
- ( Le corps en mouvement 1981 - TOULOUSE - PRIVAT
- ( Les savoirs du corps 1983 - LYON - 2e édition 1990
- ( Les athlètes de la république 1987 - TOULOUSE - PRIVAT
- ( Le militaire, lécolier, le gymnaste 1990 - LYON - LYON, PUL,
CNRS
- ( Les origines du sport ouvrier en Europe
(sous la direction de) 1994 - PARIS - LHarmattan
- ( Le sport : une histoire dans lhistoire 1995 - PARIS
La documentation photographique
La documentation française
- ( Histoire du sport féminin (2 tomes) 1996 - LHarmattan
(textes réunis par P. ARNAUD et T. TERRET)